A l'occasion de la sortie de l'album "le gardien du feu" d'après l'œuvre d'Anatole le Braz, je vous propose deux rencontres virtuelles, sous forme d'entretien croisé avec le scénariste François Debois et le dessinateur Sandro. Merci à eux deux pour leur disponibilité, leur rapidité et leur gentillesse.
Vous pourrez, si cela n'est déjà fait, découvrir la critique de Phareland dans la rubrique bibliographie.

 

 

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

 

François : J’ai 34 ans, marié et père de 2 enfants. Je suis originaire de Bretagne (même si j’ai été contraint à l’exil professionnel en région parisienne il y a quelques années). J’ai vécu mon enfance dans le Morbihan et j’ai fait mes études dans le Finistère. Tout ça pour dire que je suis très attaché à la côte bretonne !

Je suis scénariste de BD depuis 7 ans maintenant, dans des registres très différents (fantasy, histoire, enfants, traditionnel).

 

Sandro : Pour ma part, j'ai 38 ans, marié et papa de 3 enfants. Je suis originaire de région parisienne, que j'ai quitté il y a 6 ans pour m'établir en Gironde, plus prêt de l'océan une autre de mes passions.

Je suis illustrateur depuis 1992, et auteur BD depuis la sortie mon premier en 2003

 

Comment avez-vous procédé pour monter le récit : les dessins sont-ils faits avant les dialogues, en même temps ? Les dialogues sont ils préparés en premier ?

 

François : En fait, la première étape de la création d’un album de BD est le synopsis : un résumé en 8 pages des séquences (il y en a entre 15 et 22 par tome). Ensuite, je passe au découpage détaillé de chaque page, avec une description des personnages, actions, décors et surtout écriture des dialogues. Je passe ce matériau à Sandro, qui se charge de storyboarder chaque page, c'est-à-dire esquisser cette dernière, afin qu’on se mette d’accord sur les angles de vue et les cadrages. Puis Sandro finalise le dessin et l’encrage, pour passer le relais à Joël Mouclier, qui apporte la touche de couleurs !

C’est donc un vrai travail d’équipe !

 

Sandro : Pendant que François travaille sur le synopsis et le découpage, je me documente, je fais des recherches (dessins préparatoires) sur les personnages, costumes,décors.

Lorsque je reçoit le découpage je fais le storyboard, puis après validation les planches sont crayonnées, encrées finalisées, validées, envoyées chez l'éditeur, scannées et transférées à Joël Mouclier pour la couleur.

 

Comment avez-vous procédé avec le livre original pour le transcrire en dialogue de BD ?

 

François : J’ai cherché à préserver un maximum des dialogues d’origine d’Anatole Le Braz, en allégeant certains d’entre eux pour qu’ils correspondent mieux au format BD.

Sinon, pour le cheminement de l’histoire en tant que telle, j’ai inversé certaines séquences du livre original pour que la lecture de l’album BD soit fluide et permette une montée en puissance progressive du suspense.

 

Sandro :

 

Combien de temps vous a pris la conception de cet album ?

 

François : Un an, en comptant une semaine pour produire une page. 

 

Sandro : Ça s'est étalé sur un an et demi car j'ai d'autres activités à côté (illustration et Webdesign) et j'ai été pas mal en festival pour dédicacer le Sang de la sirène ( ce qui ne favorise pas la production)

 

Quels sont les points de caractères de Goulven qui vous ont le plus inspiré pour l’écriture ?

 

François : Ça va peut-être vous faire sourire, mais Goulven est un des personnages que j’ai eu l’occasion d’écrire dont je me sens le plus proche : dégouté par les beuveries sans âme de ses congénères, passionné jusqu’à la folie dans sa relation amoureuse, entier. Il représente ce que j’étais à une époque, pas si lointaine que ça. 

 

Sandro : Qui de nous n'a pas été amoureux fou dans sa jeunesse et prêt à beaucoup pour celle qui fait vibrer notre cœur. J'ai connu cela au lycée mais sans entrer plus dans les détails, ça a terminé… Pas très bien… Celle que j'aimais a fini par briser le cœur que je lui avais donné. Je me retrouve en ça dans Goulven. Heureusement, depuis, j'ai trouvé une très bonne "infirmière" qui a su cicatriser les palies et qui est devenue ma femme. Pour le dessin, j'ai pris l'option gros nounours. Il est costaud, bourru, on sent une certaine force (voir violence) en lui qu'il contient (parfois de justesse) mais en même temps il est fou de sa femme et est prêt à tout pour elle…

 

Combien de tomes comprendra « le gardien du feu » ? Avez-vous un calendrier arrêté pour les parutions ? La suite est-elle déjà achevée ?

 

François : 2 tomes. La suite est en cours de réalisation, et nous espérons une sortie pour la fin de cette année ou début 2010 au plus tard.

 

Sandro : idem, mais je fais tout mon possible pour que ce soit plutôt fin 2009.

 

Qui a eu l’idée de ce livre ? Comment s’est faite la rencontre ? Connaissiez-vous le livre d’Anatole le Braz avant ?

 

François : Sandro et moi avions déjà adapté le Sang de la Sirène. Quand Jean-Luc Istin, directeur de la collection Soleil Celtic, nous a proposé une nouvelle adaptation, qu’il souhaitait inscrire à son catalogue depuis longtemps, nous avons sauté sur l’occasion !

 

Sandro : J'ai découvert A. LE BRAZ lors de la première adaptation BD avec Fanch (Le Sang de la sirène). Pendant que je travaillais sur le Sang de la sirène, J-L. Istin m'a suggérer de lire le Gardien du feu. C'est lorsque le sang de la sirène a été terminé qu'il nous a proposé d'adapter le Gardien du Feu. Un challenge pour moi puisqu'il m'avait dit au'il aurait souhaité l'adapté lui-même. J'espère avoir été à la hauteur de ses espérances.

 

Avez-vous beaucoup de recherches sur les phares pour vous aider à écrire le scénario ?

 

François : Je me suis rendu au Cap-Sizun, à la Pointe du Raz, pour me gorger d’images et de sensations. Même si je n’ai pas pu visiter le phare de a Vieille, j’avais déjà eu l’occasion de visiter des phares par le passé (à Belle-Ile, Ouessant et en Gironde).

 

Sandro : J'ai passé une semaine sur le net à me documenter, j'avais relu le gardien du feu et annoté tous les lieux qu'il fallait que je trouve. Mon soucis sur le phare de la vieille c'est qu'il y a des tas de photos extérieures, mais rien su l'intérieur. Heureusement, j'ai découvert un documentaires sur DVD intitulé "Les gardiens du feu" qui traite de la vie au quotidien des gardien de la vieille. Ce DVD m'a permis de voir l'intérieur du phare. Ensuite j'ai acheté aussi des ouvrages sur les phares pour me documenter sur les lampes etc. pour essayer de coller au mieux à la réalité de l'époque. J'ai également eu l'occasion de me rendre à Ouessant pour un festival du livre et j'ai pu y visiter le musée des phares.

 

Que vous inspirent les phares, notamment ceux en pleine mer ?

 

François : Une pure fascination !! Il faut s’imaginer les gardiens, piégés dans ces tours de pierre au cœur des tempêtes. J’ai énormément de respect pour les hommes qui ont assumé ce rôle pendant des années.

 

Sandro : J'aime parfois la solitude, surtout quand je travaille afin de pouvoir m'immerger dans les pages que je suis en train de faire. Le summum aurait été de réaliser cet album sur le phare de la vieille (mais c'est impossible). Alors je m'isole dans ma cabane (bureau) et je travaille seul comme Goulven dans son phare.

Je suis aussi en admiration devant ces édifices qui semblent résister à la fureur des assauts de la mer. Je suis toujours sans voix et éberlué devant les images de ces phares qui sont quasi immergés voir dévorés par des vagues monstrueuses.

 

Les phares en mer sont en danger et menacés de disparaître. Pensez vous que ce patrimoine mérite qu’on investisse dans sa sauvegarde ?

 

Sandro : J'ai discuté lors d'un festival avec un marin qui m'a dit qu'aujourd'hui il y a le GPS (même pour les bateaux) et que plus personne n'a vraiment besoin des phares. Peut-être, je ne suis pas marin, cependant je pense qu'il font parti du patrimoine au même titre qu'une vieille bâtisse, d'anciens monuments ou d'anciennes fortifications. J'ai tristement appris, il y a pas longtemps, que le phare de la vieille est en train de tomber en ruine… Cela me touche d'autant plus qu'il est le héros de l'album sur lequel ont travaille avec Fanch.

 

Qu’évoque la Bretagne pour vous ?

 

François : Je dis souvent que lorsque je passe Vannes en voiture, mon corps se met à résonner, comme s’il retrouvait son « nid ».

 

Sandro : Je ne suis pas Breton, je connais très peu (juste les lieu que j'ai pu découvrir en festival)… Pour moi c'est plus le côté, légende, mystère, patrimoine (très présent).

 

Quels sont vos projets d’écriture ?

 

François : Un autre projet sur la Bretagne, qui me tient vraiment à cœur, mais dont je ne veux pas parler en ce moment. Je vous en dirai plus dans 6 mois, quand le projet sera bien entamé.

Sandro : Continuer le plus longtemps possible de bosser avec mon ami Fanch  car j'aime sa manière d'amener les histoires et les traiter;)

 

Les nouvelles technologies ont-elles modifiées votre façon de travailler ?

 

François : Oh oui !! Aujourd’hui, avec Sandro et Joël, nous pouvons nous échanger scénario, pages et couleurs d’un seul clic, et réagir pour les corrections dans la foulée. Rien ne remplace cependant la rencontre physique, et nous apprécions de nous voir en dédicace pour partager notre joie d’avoir réalisé cet album.

 

Sandro : Je vis en Gironde, Fanch à Paris, notre directeur de collection en Bretagne, notre éditeur est à Toulon et Joël Mouclier dans les Alpes. Heureusement qu'il y a Internet. Mais c'est sûr que ça ne vaut pas les rencontres lors des festivals et les échanges qu'on y a ;)

 

Comment décidez vous du format de chaque illustration ? 

Sandro : Le format des cases dépend du contenu et de ce qu'on veut mettre en avant.

J'essaie lorsqu'il y a des plans généraux de faire des grandes cases pour que le lecteur soit imprégné par le décor, qu'il ait l'impression d'y être. Ensuite, certaines cases verticales accentuent l'effet de hauteur ou de plongée. Enfin, au cinéma j'aime les films de Sergio Leone alors même si c'est pas du western spaghetti que je dessine, j'utilise beaucoup les panoramiques qui me permettent là encore de profiter de la beauté des décors où se situe la scène.

Le format des cases me permet également de simuler des mouvements de caméra alors que les images sont fixes.

 

Combien de temps prend une planche ? 

Sandro : Là encore tout dépend du contenu. Je vais passer une journée sur une case où je dois dessiner une super perpective du phare ou d'une église. Et parfois je crayonne une planche en une journée.

Le temps moyen pour une planche est de 3 jours à peu prêt, parfois plus lorsqu'il y a beaucoup de détails. Il faut compter environ une journée storyboard (recherches), une autre pour le crayonné et une autre pour l'encrage.

 

 

Dessinez vous dans l'ordre de l'histoire ou en fonction de votre feeling ? 

Sandro : Je reçois le découpage dans l'ordre des scènes de l'album donc mon travaille avance aussi chronologiquement. Lorsque je reçois le découpage, je le lis une première fois et tout comme lorsqu'on lit un livre des images apparaissent. Je le laisse de côté quelques jours puis je le relis en faisant dans les marges des minis croquis et mise en page des planches. Ensuite, je le relis une nouvelle fois lors de la réalisation du storyboard pour voir si il y a mieux à faire comme mise en page et mise en scène dans les cases.

Pour en revenir à l'ordre chronologique de l'histoire, ça me permet aussi de tenir compte de certains détails comme le personnage va utiliser une paire de jumelles donc il faut qu'on la voit sur les pages ou cases précédentes, où alors Fanch me précise qu'il faut un arbre dans la cours de la ferme des parents car Goulven y grimpera plus tard... C'est aussi utile pour l'enchaînement des plans.

 

Les couleurs sont essentiellement sombres. Est ce qu'une Bretagne avec du soleil était un cadre incompatible avec la Bretagne ? 

Sandro : Si vous regardez bien l'album, les couleurs du début (du flash-back sur la vie de Goulven) sont plus joyeuses, il fait beau, le ciel est bleu, le soleil brille les oiseaux chantent. C'est lorsqu'ils voyagent vers la Pointe du Raz que les couleurs changent et petit à petit et s'obscurcissent.

On s'est servi de la couleurs pour plusieurs choses.

Tout d'abord, l'histoire est loin d'être joyeuse et le drame qui se déroule dans le phare est sombre. On a donc choisi l'option de ces couleurs sombres lorsque Goulven est dans le phare (un peu comme les ambiances dans le film Seven ou certains films de Jean-Pierre Jeunet).

Ensuite,sur les flash-backs, au début de son mariage, tout va bien, Goulven et Adèle sont heureux. Pour ces moments, on a utilisé des couleurs plus joyeuses. Il y a une transition au cours du voyages vers la nouvelle affectation de Goulven. À leur arrivé à la Pointe du Raz, Adèle déchante, c'est loin d'être le paradis qu'elle imaginait. C'est le début de la descente aux enfers pour le couple, lui est loin d'elle et a du mal à le supporter (1 mois dans "l'enfer de la vieille" sans sa femme alors qu'avant ils ne se séparaient jamais). Elle déprime car elle est loin de la ville et les gens ont du mal à accepter cette "dame" surtout la Chevanton qu'elle croise tous les jours à la caserne. Lorsqu'enfin ils se retrouvent lors des permissions de Goulven, ça ne va pas fort entre eux. On a voulu accentuer tout ces sentiments par la couleur.

En fait, dans cet album il n'est nullement question de : "il pleut toujours en Bretagne" ou d'incompatibilité entre le soleil et la Bretagne.

La couleur sert l'histoire et est utilisée pour accentuer les sentiments qui se dégagent au fur et à mesure de l'avancement dans le drame et je trouve que Joël Mouclier s'en est sorti avec brio.

 

 

Remerciements sincères pour leur disponibilité