CONSTRUCTION DU PHARE DE MEN TENSEL LA NATURE – N°2815 – 15 AOUT 1929 REDIGE PAR EDMOND MARCOTTE
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Si l’on regarde une carte marine à grande échelle, on voit que le passage de Fromweur, entre l’Ile d’Ouessant et l’archipel comportant divers îles et îlots, dont l’île Molène, peut abréger le voyage des navires entrant dans la Manche. Les courants sont violents, mais le chenal large et profond, est préférable, lors des tempêtes, à la grosse mer, au nord d’Ouessant. | Sur une carte plus détaillée, on s’aperçoit que ce chenal (comme toutes les passes de la région) est bordé d’écueils, de " cailloux ", comme disent les marins, singuliers et énormes obstacles de chaussées monstrueuses comme celle, longue d’un demi-mille marin, qui déborde, dans l’ouest, le gros rocher Loédo |
A l’extrémité de cette
chaussée aux pierres géantes, se trouve l’écueil de Men-Tensel
(pierre hargneuse), sur lequel la commission des phares décida d’établir
un phare important avec un puissant signal sonore.
Les travaux durèrent dix ans.
Douze ans maintenant se sont écoulés depuis leur achèvement et l’on peut être sûr de la solidité d’un ouvrage bâti dans des circonstances exceptionnellement difficiles. Nous allons donc suivre les opérations de l’ingénieur Crouton, qui eut, à partir de 1910, la direction effective de ces travaux, auxquels le service des phares donnait l’impulsion et qu’il visitait régulièrement (nous avons vu plusieurs fois le phare en construction au cours des années 1910-1913). Nous allons mettre en lumière, les incidents notables pour en tirer quelques conclusions utiles à la technique des travaux maritimes. Nulle part, on ne trouvera une mer plus dure ; ainsi les moyens employés à Men-Tensel se trouvent applicables à nombre d’entreprises moins hasardeuses.
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ETUDES :
En 1906, M Le Corvaisier reconnut deux têtes à l’écueil ; celle de l’est, seule, pouvait servir à l’assiette d’une tour de 12 à 13 m de diamètre. Cette roche principale était divisée en deux par une fente étroite N-S de 2 mètres de profondeur environ. Une série de sondages permit de tracer une carte des alentours, tandis que la topographie de la roche était exactement relevée. Cette dernière opération n’était pas sans risque. M Le Corvaisier, sous-ingénieur des Ponts et Chaussées (qui dirigea les études sur place et les travaux jusqu’en 1909), était sur, la roche avec quelques aides-opérateurs par une très belle journée , la mer était parfaitement calme. Une dépression barométrique soudaine fut accompagnée du soulèvement d’une onde marine de quelques mètres qui, ne formant qu’un large pli à peine visible au loin, arriva sur le groupe. Tout fut emporté, hommes et instruments ; les ceintures de sauvetage sauvèrent M Le Corvaisier et ses collaborateurs que l’on repêcha. M Le Corvaisier me dit qu’ensuite il chargeait toujours l’un des ouvriers de l’unique mission de surveiller le baromètre et de donner l’alarme au moindre mouvement de baisse. On s’embarquait aussitôt et cette précaution évita bien des accidents. |
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PREMIERE CAMPAGNE 1907
On mit à la disposition du conducteur des travaux – c’était alors M Le Corvaisier, à partir de 1910 ce fut M Crouton – un bateau à vapeur qui mouillait dans le petit port d’Argenton et un équipage comportant des matelots, des maçons et des manœuvres, tous gens de mer éprouvés. A l’aide de sondages, ils vérifièrent l’homogénéité du granite, s’aperçurent que la faille nord-sud était toute superficielle, forèrent les premiers trous de scellement, piquèrent les surfaces glissantes ; disposèrent, dans les remous du flot et du jusant, des échelons pour l’accostage avec deux petits mâts de charge. Quarante-trois accostages permirent de parachever la reconnaissance de la roche et des alentours pour le meilleur mouillage, d’effectuer des travaux préparatoires et d’exécuter, en outre, 61 m3 de maçonnerie de fondation ANNEE 1908 En dépit de l’état de la mer, qui resta très défavorable, on maçonna 139 m3. La plate-forme de fondations était ainsi complète sauf à l’ouest, portion qui exigeait des marées très favorables. Cette année-là, on avait pu préciser les dimensions de l’ouvrage qui devait comporter : -un phare dont le plan focal devait s’élever à 30 m au-dessus des hautes mers ; -une optique de grand diamètre assurant des occultations régulières avec coloration, blanche dans un secteur de 229° (de N 19° E à S 68° O), rouge pour le surplus (côté de l’archipel de Molène) ; -un signal sonore émettant, toutes les 90 secondes, un groupe de deux sons, l’un long, l’autre bref. |
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Quatre autres réservoirs de 2,5m3 chacun,
communiquant entre eux ; servent de régulateurs pour la production
et la dépense d’air comprimé, en particulier pour en maintenir la
pression à 2kg pendant tout le temps d’émission des sons.
A l’extrémité de l’arbre du compresseur est fixé le mécanisme d’émission rythmée des sons. Enfin, le long du mur, on trouve encore 3 réservoirs d’eau d’une capacité totale de 9m3, fournissant l’eau nécessaire au refroidissement du moteur et du compresseur. La circulation de cette eau est assurée par une pompe centrifuge attelée sur le volant du moteur. Nous arrivons enfin à la lanterne qui contient l’appareil lumineux ; c’est une salle à charpente métallique, au centre de laquelle est montée une colonne en fonte surmontée par une table en fonte qui porte l’appareil lumineux. Nous apercevons d’abord dans la salle de la lanterne au réservoir d’air de 800 litres de capacité relié au groupe des réservoirs distributeurs de la salle des machines. Ce réservoir alimente une sirène à disque, qui fournit les signaux de brume. Sur la table de fonte repose une légère carcasse métallique qui maintient les panneaux optiques : à savoir une couronne de 7 panneaux dans la partie basse, surmontés de 7 panneaux intermédiaires, dits dioptriques, eux-mêmes surmontés par 8 panneaux catadioptriques de coupole. Au centre de la table en fonte est fixée une estrade qui porte elle-même un petit manchon en fonte. A l’intérieur de celui-ci se superposent la machine de rotation du feu, puis la cuve à mercure. Dans cette cuve est placé un flotteur adapté à une petite table en fonte sur laquelle est monté l’appareil d’éclairage. Celui-ci est composé d’un générateur, dit en dessous, dans lequel se produit la vaporisation d’un mélange de pétrole et d’air. Ce mélange, enflammé, porte à l’incandescence des manchons Auer. L’occultation du feu est obtenue au moyen de 4 panneaux en tôle placés sur la tablette qui supporte le feu et tournant régulièrement. Le feu est blanc et rouge, à occultation toutes les secondes, au rythme 5 secondes de lumière, 1 seconde d’éclairage. La puissance est de 250 000 bougies pour le feu blanc et de 50 000 pour le feu rouge. Si nous avons exposé les principales phases de la construction de ce phare important au bord du passage de Fromweur, c’est pour rappeler une fois de plus, la supériorité du béton armé sur les poutres métalliques pour la résistance aux tempêtes. Le métal, même le plus solide, ne résiste jamais en certains lieux ; le bois serait préférable. C’est ainsi qu’on a eu des mécomptes en remplaçant de simples balises de bois par des tubes creux en acier. Nous avons voulu aussi montrer les difficultés de la construction des phares sur des rochers isolés et donner une idée de leur aménagement. Si le décor est moins sommaire que celui que l’on voit sur certaines scènes où l’on représente des pièces dramatiques dont les gardiens de phare sont les héros, il faut avouer qu’un séjour au phare de Kéréon, sur Men-Tensel, pierre hargneuse, n’a rien de bien réjouissant et que l’on doit souhaiter que les signaux hertziens de brume, ainsi que les signaux optiques, se perfectionnent assez pour pouvoir marcher longtemps et sûrement sans gardiens. La solution est loin d’être impossible. On devrait la poursuivre, ne fût-ce que pour des raisons d’économie.
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Texte et illustrations : La Nature - N°2815 du 15 août 1929 | |||