LE
PHARE D’EDDYSTONE
Article
signé M. paru dans la Revue
maritime et coloniale, tome 55, année 1877, p. 425-429
L’Engineering du 14 septembre publie une notice sur ce phare,
qui a été lue par M. J. N. Douglas devant la British Association à
Plymouth. En voici le résumé :
Le premier phare qui ait été élevé sur les roches d’Eddystone est
dû à Winstanley et date de 1696. Cette construction, dans laquelle le bois
était l’élément principal, était peu propre à résister aux grosses
mers, et en novembre 1703, une violente tempête la fit disparaître, et avec
elle l’ingénieur qui l’avait construite et qui s’y trouvait alors pour
diriger certains travaux de réparation. Elle fut remplacée par un nouvel édifice,
dont le plan et l’érection furent l’oeuvre de Rudyerd. La matière employée
était encore le bois, mais sa forme et sa solidité étaient en grand progrès
sur le précédent. Commencé en 1706, il fut terminé en 1708 et soutint
pendant 47 ans l’assaut des grosses mers qui règnent dans ces parages ;
mais un incendie le détruisit entièrement dans la nuit du 2 décembre 1755.
Le troisième phare, qui a duré jusqu’à nos jours et qui va être
prochainement remplacé, a été construit d’après les plans et sous la
direction de l’éminent ingénieur J. Smeaton. S’inspirant de l’expérience
passée et convaincu, comme il le dit lui-même, qu’un édifice de cette
nature devait être construit de façon à lui assurer une sorte de perpétuité,
Smeaton reconnut la nécessité de le bâtir en pierres ; quant à la
forme, le tronc d’un gros chêne à large base se présenta à son esprit
comme le modèle naturel d’une colonne ayant la plus grande solidité
qu’il fût possible d’obtenir. Il fit aussi des recherches en vue de découvrir
le meilleur procédé pour lier et joindre par des queues d’aronde les blocs
de pierre entre eux et avec la roche elle-même. On ne connaissait pas alors
de bons ciments hydrauliques, et Smeaton, après de nombreuses expériences,
s’arrêta à un mélange de lias bleu et de pouzzolane. Il se mit à
l’oeuvre au printemps de 1756, et au mois d’octobre 1759 le phare fut prêt
à allumer. Le succès de ce beau travail conduisit à l’érection de
plusieurs phares semblables, parmi lesquels un certain nombre présentèrent
des difficultés de construction encore plus grandes que celui d’Eddystone,
mais qui n’en ont pas moins réussi, grâce à l’adoption des procédés
de J. Smeaton.
Le phare d’Eddystone est vraisemblablement l’un des premiers édifices
qui aient été protégés par un paratonnerre. Le conducteur établi par
Smeaton a été remplacé en 1844 par celui qui s’y trouve actuellement et
qui a été placé d’après les indications de Faraday. Il est formé
d’une barre en cuivre à section hémisphérique, ayant 38 millimètres sur
19 millimètres ; il est fixé à la base de la lanterne et va se perdre
à la mer en passant à l’intérieur de l’édifice jusqu’à sa base, où
il traverse la muraille et suit les roches.
On ne peut s’empêcher de regretter que l’oeuvre de Smeaton soit
condamnée à disparaître. Les ébranlements violents que produit dans la
structure le choc des lames, surtout dans les gros temps d’Ouest, ont inspiré
des craintes d’autant plus sérieuses sur sa solidité, que la mer pénètre
parfois dans les joints de la maçonnerie. La partie supérieure a été
consolidée, en 1839 et en 1865, au moyen de tirants intérieurs en fer forgé
qui relient la lanterne à la portion massive de l’édifice. Il est
actuellement en bon état à ce point de vue, mais le récif sur lequel il
s’appuie, et qui est un gneiss dur, a été rongé en dessous par la mer et
considérablement affaibli. On a dû se décider en conséquence à construire
un nouveau phare pour lequel un emplacement, offrant des garanties bien
meilleures, a été choisi à 120 pieds (37 mètres) de l’ancien.
Celui-ci est un feu fixe, blanc, dont l’élévation focale au-dessus de la
haute mer est de 22 mètres, ce qui lui donne une portée d’environ 13
milles marins. Il est nécessaire que cette portée soit augmentée jusqu’à
19 milles pour éclairer la route du canal et venir se croiser avec les feux
voisins dans l’Ouest, dans lesquels on installe en ce moment les appareils
perfectionnés de MM. Siemens pour la production de la lumière électrique.
En 1872, la lanterne d’Eddystone a été munie d’une cloche pour signaux
de brume, fixée à la galerie et mue par un mécanisme placé à l’intérieur.
Elle sera remplacée dans le nouveau phare par une sirène d’une grande
puissance. L’un des inconvénients de ce phare tient à ce que la mer, dans
les gros temps, couvre la lanterne et altère les caractères distinctifs de
ce feu. Il serait de toute nécessité qu’un phare de première classe fût
établi sur un point aussi important, ainsi que des signaux de brume de même
ordre. Il faudrait aussi qu’il fût relié à la terre par une communication
télégraphique, mais les conditions actuelles où il se trouve ne
justifieraient plus ces dépenses.
L’appareil d’éclairage de Smeaton se composait, comme ceux qui
l’ont précédé, de chandelles de suif du poids de 182 grammes chacune ;
elles étaient montées sur un chandelier, sans instrument optique pour
diriger ou concentrer leur lumière sur la surface de la mer. Il n’y a pas
à en être surpris, si l’on se rappelle qu’à cette époque l’éclairage
des côtes se faisait encore avec des feux de charbon et que la science des
phares était à ses débuts. D’après des expériences faites par M. Douglas,
chacune de ces chandelles avait un pouvoir éclairant qui équivaut à celui
de 2 4/5 bougies-étalons – ou unités anglaises pour évaluer
l’intensité de la lumière, – ce qui donnait, pour les 24 chandelles, un
pouvoir éclairant égal à celui de 67 bougies-étalons. En 1810, la Trinity
House les remplaça par 24 lampes à huile, avec des réflecteurs en
cuivre argenté construit d’après une formule du capitaine J. Huddart. Ils
sont encore employés dans quelques phares, sous le nom de leur inventeur. Ce
perfectionnement porta l’intensité du feu d’Eddystone à 1.125 bougies-étalons,
ou 16 ¾ fois environ l’intensité de l’ancienne lumière. Un appareil du
système Fresnel, – de 2e classe seulement à cause du peu
d’espace dont on disposait, – y fut établi en 1843, et l’intensité
devint alors de 3.216 bougies-étalons ou 48 fois celle des chandelles. Enfin,
en 1872, une lampe perfectionnée de Trinity House y fut adaptée, donnant une
intensité de 7.325 bougies-étalons ou 109 fois l’intensité primitive. Il
y a lieu de noter en passant que c’est dans le phare voisin de Start qu’a
été inauguré pour la première fois en Angleterre, en 1836, l’appareil
dioptrique de Fresnel. Ce feu, tournant de minute en minute, a reçu en 1875
un appareil nouveau construit par MM. Chance : il est muni de la
lampe perfectionnée à huile minérale et à 6 mèches de Trinity House,
donnant une intensité égale à 169.360 bougies-étalons ou 2.525 fois celle
des chandelles d’Eddystone. Cette augmentation considérable de pouvoir éclairant
est obtenue moyennant une dépense qui ne dépasse pas les 3/5 de ce que coûtaient
les chandelles de suif.
Il y a à Eddystone trois gardiens, dont deux dans le phare et un en
permission à terre ; ils sont ravitaillés tous les mois par un navire
à vapeur de Plymouth. La dépense annuelle se décompose de la manière
suivante : solde des agents, 7.375 francs ; huile, 3.125 francs ;
approvisionnements généraux, 500 francs ; réparations et peinture,
1.125 francs ; frais de ravitaillement, 2.500 francs. Ce qui donne un
total de 14.625 francs.
M. Douglas termine en exprimant le vœu que la noble construction de
Smeaton trouve, après son enlèvement de la roche où elle est restée si
longtemps, une place sur le sol national qu’elle ne mérite pas moins que
l’aiguille de Cléopâtre.
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