|
Nos gravures nous ont montré les phares debout, au
milieu de la mer, et bravant les tempêtes. Au plus fort de l’ouragan,
lorsque le vent souffle avec rage, lançant des torrents de pluie contre
les vitraux de la lanterne, lorsque les lames énormes du large déferlent
quelquefois jusque sur la première galerie, envoyant par-dessus la
coupole leurs longues fusées d’écume, ils s’inclinent comme pour
saleur l’ouragan. Alors les vases à huile placés dans les chambres les
plus élevées présentent une variation de niveau de plus d’un pouce,
ce qui suppose que le sommet de la tour décrit un arc de près d’un
mètre d’étendue. Mais comme un roseau, la tourmente passée, le phare
se redresse sans qu’une pierre ait joué, sans que rien se soit démoli.
Entourés d’eau de tous côtés, les phares sont, en général d’un
accès difficile. Un moyen pittoresque reproduit par nos premiers dessins
est un va-et-vient installé sur un mât et actionné par un treuil.
Prenons ce chemin et pénétrons dans l’intérieur pour le visiter.
|
|
|
Au 1er étage, nous trouvons les magasins de
bois et de cordages et la menuiserie, puis au-dessus les caisses en tôle
renfermant la provision d’huile ; au troisième sont le
garde-manger, la cuisine et deux chambres pour les gardiens ;, puis
une petite salle pour les ingénieurs ; tout cela réduit, étriqué.
Dans les phares, comme à bord d’un bâtiment, l’espace est distribué
avec une intelligente parcimonie.
|
|
|
Maintenant nous sommes dans le soubassement sur lequel
repose la lanterne : c’est l’étage supérieur du phare, son
âme, que nous allons examiner.
Dans un premier réduit sont enfermés les bidons à
huile, les verres et les lampes de rechange, et un escalier en spirale
nous conduit dans la chambre des appareils. Avec nous le gardien est
entré. La nuit tombe, nous allons assister à l’allumage du feu.
L’homme s’est d’abord approché de la machine de rotation formée
d’un mécanisme d’horlogerie. Il l’a mise en mouvement, en remontant
un poids que l’on voit, sur la gravure, descendre dans le trou
au-dessous. L’embrayage au-dessus de la machine s’est mis alors à
tourner, actionnant, comme nous le verrons tout à l’heure, l’appareil
optique et son armature. Celle ci roule sur un rail circulaire au moyen de
galets coniques.
|
|
|
Cela fait, l’homme s’est engagé sur l’échelle
plus étroite encore qui a succédé à l’étroit escalier en hélice
donnant accès à la lanterne.
Celle ci est une sorte de cage à parois formées de
glaces planes, mais ce n’est là qu’une enveloppe extérieure abritant
contre le vent, la pluie, les embruns de la mer, l’éblouissant
échafaudage de prismes, de lentilles et de miroirs composant l’appareil
d’optique que représente un de nos dessins, et dont l’ensemble s’appelle
le tambour.
Rappelons en quelques mots le principe et la théorie de cet appareil.
Si la lampe du phare était placée dans une lanterne ordinaire, la plus
grande partie de sa lumière serait perdue ; pour l’utiliser tout
entière, il faut ramener à la surface de la mer tous les rayons qui en
suivant leur direction naturelle iraient se perdre dans les espaces
célestes. Tel est le rôle de l’appareil optique qui a pour effet de
rendre parallèles et horizontaux les rayons lumineux divergents qu’émet
le foyer. De ses rayons, les plus rapprochés de la direction voulue, ceux
du centre, traversent des lentilles ordinaires, les plus obliques son
réfractés par des séries de prismes qui entourent les lentilles ;
enfin, ceux des bords du faisceau se réfléchissent sur des miroirs qui
les renvoient en pinceaux parallèles balayer la surface des eaux. Ce dispositif a été imaginé en 1821 par le physicien
français Fresnel. |
|
|
A notre entrée dans la lanterne nous trouvons les
stores qui la garnissent intérieurement baissés, et les appareils
recouverts de housses en étoffe. L’homme a d’abord enlevé ces
dernières et la lampe est apparue à nos regards, il va maintenant la
remplir d’huile, la mettre en fonctions et commencer, à l’abri des
stores, l’allumage du bec. Un mot en passant sur cette lampe que l’on voit sur
notre gravure et sur son bec.
Elle est dite à niveau constant et à réservoir inférieur. L’huile
minérale (car c’est d’elle qu’on se sert) est placée dans un
réservoir inférieur au bec, où des pompes actionnées par un mouvement
d’horlogerie situé dans l’intérieur la puisent pour la refouler à
un niveau maintenu constant. Au moyen d’un trop-plein, l’huile
excédante revient au réservoir. Quand au bec, il se compose de cercles
de cuivre concentriques dans lesquels sont passées des mèches de coton
au nombre de cinq pour les phares de premier ordre, de quatre pour ceux de
second, et ainsi de suite en descendant.
|
|
|
Pour assurer et régler la combustion de l’huile dans
le bec, celui-ci est coiffé d’une cheminée de cristal portée par une
robe cylindrique, permettant de l’élever ou de l’abaisser suivant les
besoins. Comme la hauteur de cette cheminée est insuffisante, elle est
surmontée d’une allonge en tôle avec un clef munie d’un obturateur
pour pouvoir à volonté régler le tirage.
Mais le gardien a jugé les mèches suffisamment
imbibées, et le voilà qui procède à l’allumage méthodique en les
tenant basses d’abord à petite flamme. Au bout d’un quart d’heure
il les relève un peu au-dessus de la couronne du bec, redescend la
cheminée, ouvre graduellement l’obturateur, puis, au moyen de la pompe,
fait arriver un afflux d’huile sur les mèches ; de cette façon,
bien réglée et conduite, la flamme est régulière, blanche, corsée et
bien développée.
Puis il a définitivement enlevé les stores de la lanterne. Maintenant
le phare est en pleine activité, la lampe brûle bien, et l’appareil
optique tourne autour d’elle, envoyant sur l’horizon ses faisceaux
lumineux qui apparaissent au marin qui les observe comme une série d’éclats,
chaque fois qu’une lentille passe devant lui, interrompus par une série
d’éclipses dans l’intervalle des passages. La rapidité de rotation
du tambour détermine la durée relative des éclats et des éclipses dans
les phares à feu tournant. Dans les phares à feux fixes, le tambour, par
contre, est immobile et la lentille circulaire. |
|
|
Nous en avons fini avec la description du phare, il
nous faut suivre encore un instant dans son service l’homme que nous
avons vu installer tout et que nos gravures nous montrent maintenant assis
dans le tambour, au pied même de la lampe, un registre ouvert sur les
genoux.
Légèrement vêtu et le col de la chemise entr’ouvert
à cause de la chaleur quelquefois énorme (40° centigrades dans les
nuits d’été) qui règne dans la lanterne, les yeux réglementairement
cachés sous des lunettes aux verres fumés, dits de Londres, pour obvier
autant que possible à l’insupportable intensité de la lumière, il
fait son quart de trois heures, surveillant le feu, la consommation de l’huile,
observant l’horizon, notant le temps qu’il fait, le degré de
transparence de l’air, la brume, les incidents de la mer. Immobile, il
veille dans ce scintillement qui tourne autour de lui, suffoqué par la
chaleur et le relent âcre des vapeurs de l’huile minérale, au milieu
du tic-tac énervant des appareils d’horlogerie et de l’endormant et
sourd mugissement de la mer qui déferle au pied des rochers, interrompu
seulement de temps en temps par un choc sec contre la vitre produit par
quelque oiseau migrateur attiré dans sa route et qui est venu se heurter
contre l’obstacle qui le fascine.
|
|
|
La France a toujours été à la tête des progrès accomplis depuis un
demi-siècle par la science des phares : en 1791 Teulère et Borda
ont inventé les réflecteurs paraboliques ; en 1823, Augustin
Fresnel imaginait les appareils lenticulaires qui illuminent aujourd’hui
les côtes du monde entier. Ces traditions se sont soigneusement
conservées ; et l’on retrouve chez le personnel de notre service
des phares, depuis l’ingénieur jusqu’au gardien, cette science d’inventions,
ce dévouement à toute épreuve, cette discipline merveilleuse, enfin,
qui sont comme la caractéristique de notre famille maritime française. |
|